Berezina (Sylvain Tesson)

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«Il y a deux siècles, des mecs rêvaient d’autre chose que du haut-débit. Ils étaient prêts à mourir pour voir scintiller les bulbes de Moscou.»

Tout commence en 2012 : Sylvain Tesson décide de commémorer à sa façon le bicentenaire de la retraite de Russie. Refaire avec ses amis le périple de la Grande Armée, en side-car ! De Moscou aux Invalides, plus de quatre mille kilomètres d’aventures attendent ces grognards contemporains.

Ce livre réussit le pari de passionner le lecteur, entre le récit du périple en side-car Moscou-Paris, et la retraite de Russie. Même sans connaître cette période, on apprend vraiment beaucoup de choses, et Sylvain Tesson parvient à transposer à la fois son amour pour la Russie et les Russes, l’ampleur de l’horreur des conditions de cette retraite, tous ces morts, et sa réflexion sur pourquoi les hommes de l’époque étaient prêts à suivre un homme, quitte à mourrir par dizaines de milliers… Passionnant.

On vous en livre quelques extraits :

 » Je côtoyais les Russes depuis le putsh avorté de Guennadi Ianaïev en août 1991. Ils ne m’avaient jamais semblé rongés par l’inquiétude, le calcul, la rancune, ni le doute : vertus de la modernité. Ils me paraissaient des cousins proches, peuplant un ventre géographique bordé à l’Est par la Tartarie affreusement ventée et à l’Ouest par notre péninsule en crise. Je nourrissais une tendresse pour ces Slaves des plaines et des forêts dont la poignée de main vous broyait à jamais l’envie de leur redire bonjour. Me plaisait leur fatalisme, cette manière de siffler le thé par une après-midi de soleil, leur goût du tragique, leur sens du sacré, leur inaptitude à l’organisation, cette capacité à jeter toutes leurs forces par la fenêtre de l’instant, leur impulsivité épuisante, leur mépris pour l’avenir et pour tout ce qui ressemblait à une programmatique personnelle. Les Russes furent les champions des plans quinquennaux parce qu’ils étaient incapables de prévoir ce qu’ils allaient faire eux-mêmes dans les cinq prochaines minutes. Quand bien même l’auraient-ils su, « ils n’atteignaient jamais leur but parce qu’ils le dépassaient toujours », précisait Madame de Staël. Et puis il y avait leur rugosité de premier abord. Un Russe ne faisait jamais l’éffort de vous séduire : « On n’est pas des portiers de Sheraton tout de même », semblaient-ils penser en vous claquant la porte au visage. Au préalable, ils faisaient la gueule, mais il m’était arrivé de les voir m’offrir leur aide comme si j’avais été leur fils et je préférais ces imprévisibilités-là à celles des être qui décampaient au moindre nuage après vous avoir caressé le dos avec des familiarités de chatte. »

 » Qu’aurions-nous éprouvé, nous autres, devant ces spectacles ? Comment l’aurions-nous décrite, cette plaine de Borodino, nous qui n’avions pas accepté que quatre-vingt-neuf de nos soldats donnent leur vie en dix ans de conflit afghan ? Comment faisaient ces hommes pour supporter ce qu’ils voyaient ? S’habitue-t-on vraiment au côtoiement des morts ? Etait-ce nos nerfs qui s’étaient affaiblis, en huit générations ? Nous autres, dans une vie de quarante années, nous avions vu quelques cadavres, une trentaine peut-être, guère davantage : des proches morts dans leur lit, quelques êtres disparus dans des accidents, tombés en montagne, crevés sur la route.

Mais eux, les soldats de 1812, piétinaient carrément des champs de chair, couchaient dans des talwegs « remplis de cadavres en putréfaction » (…), voyaient leurs régiments décimés par l’artillerie en quelques heures, leurs amis de vingt ans coupés en deux par le fil d’un sabre et parvenaient le soir au terme de journées où soixante-dix mille hommes avaient été déchiquetés autour d’eux ».

«Une épopée livresque, diablement tonique, rebelle à mort.» Christophe Ono-dit-Biot, Le Point

Elu «meilleur livre de voyage 2015» par le magazine Lire
Prix des Hussards 2105
Prix littéraire de l’Armée de Terre – Erwan Bergot 2015

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Sylvain Tesson est né en 1972. Aventurier et écrivain, membre de la Société des explorateurs français, il s’est fait connaître avec un remarquable récit de voyage, L’axe du loup : De la Sibérie à l’Inde, sur les pas des évadés du Goulag. Son premier recueil de nouvelles, Une vie à coucher dehors s’inspirant de ses nombreux voyages, reportages et documentaires, a reçu le Goncourt de la nouvelle 2009.

Expédition en Islande, tour du monde à vélo avec Alexandre Poussin, traversée des steppes d’Asie centrale à cheval avec Priscilla Telmon…  Passionné d’escalade, il chute d’une maison à Chamonix en août 2014, juste après avoir transmis à son éditeur le manuscrit de « Bérézina » et est placé en coma artificiel. Il a depuis retrouvé la santé.

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