Gayle Chong Kwan – Blind Vistas (Galerie Alberta Pane)

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La galerie Alberta Pane propose à partir du 7 septembre une exposition consacrée à Gayle Chong Kwan, avec Blind Vistas, qui est tout autant une expérience sensitive qu’un voyage intérieur. Et c’est la Lune, planète sœur de la Terre, astre énigmatique, dont la vie légendaire n’a d’égal que sa solitude marbrée et abîmée dans le Ciel étoilé, qui sert de fil rouge fictionnel à cette exposition.

L’histoire commence en 1839, lorsque John William Draper, homme de science et de pensée anglais, décida de photographier la Lune, pour mieux la comprendre et peut-être la posséder en en faisant le portrait. Car, au-delà de la prouesse technique et scientifique, ce qu’il reste aujourd’hui de ce geste est bien esthétique, peut-être amoureux : faire le portrait d’un astre comme on ferait le portrait d’un être cher, avant qu’il ne disparaisse dans la nuit. Que l’on pense aux premiers daguerréotypes fixant des visages que l’on n’avait encore jamais vus de cette manière, des visages nouveaux parce qu’éternisés par la machine, par la trace de la lumière sur une plaque d’argent. Lorsque Draper photographia la Lune, ses cratères et ses anfractuosités rugueuses, peut-être avait-il conscience qu’il scellait là une légende éternelle et intimement photographique : celle qui unit la lumière à la nuit, la révélation à la disparition. Grâce à la photographie, le Soleil et la Lune s’unissent enfin avant l’éclipse qui finira un jour ou l’autre par les séparer.

Gayle Chong Kwan se fait la gardienne de cette union impossible et décide de voir dans l’obscurité, de faire de l’aveuglement une force, au sens le plus physique et corporel du terme : voir en aveugle devient ainsi une manière de s’inventer des mondes et des vies imaginaires, de remonter à l’enfance, territoire des images floues qui nous parviennent en souvenir, alors que, littéralement, on ne peut pas faire le point.
Qu’on le veuille ou non, les contours restent indécis, opaques, flottants, mais les sensations visuelles sont fortes et tenaces.

« J’ai construit un long panorama de paysages de la Lune, de sorte que le paysage regardé en devient presque iridescent, comme de l’or liquide », mentionne l’artiste qui crée des photographies comme des miroirs inversés, comme s’il fallait projeter une vision au lieu d’en recevoir le reflet. Ces miroirs d’or sont construits à partir d’images puisées dans l’œuvre de Méliès et son Voyage dans la Lune à qui Gayle Chong Kwan rend hommage en soulignant à quel point c’est l’aspect artisanal, au-delà de toute perfection, qui permet le surgissement de l’émotion et l’accès à la fantasmagorie.

Ce qui intéresse Gayle Chong Kwan ce sont les grandes machines à illusions et à création de mondes parallèles devant lesquels, sans voix, comme les enfants, nous regardons un monde enchanté, oubliant la distance qui nous sépare de lui, avec la ferme volonté d’y croire, de se laisser prendre par l’artifice du rêve. Elle pense au diorama de Louis Daguerre, aux expériences théâtrales immersives et fascinantes qu’il faisait vivre aux spectateurs ; et se réfère à la grande tradition de la lanterne magique ; à l’émerveillement devant l’autonomisation de la lumière projetée, transportant, dans son faisceau, des formes mouvantes, ayant l’apparence même de la vie.

   

Gayle Chong Kwan ne nous convie cependant pas à un voyage dans l’espace, mais plutôt à une concentration sur l’intime, comme si cette Lune si lointaine c’était d’abord en nous-mêmes qu’il fallait la trouver. C’est par la sensorialité que cette introspection s’opère : grâce à une technologie permettant d’imprimer des images photographiques en 3D, il est désormais possible de découvrir l’image par le toucher et non plus seulement par la vue. Les mains voient à la place des yeux : elles sentent les reliefs des paysages, caressent les cimes. Pour cela, Gayle Chong Kwan a travaillé à partir du motif des stalactites et des stalagmites, ces phénomènes de concrétion et de cristallisation qui apparaissent dans les grottes. Comme elle l’a déjà fait en faisant appel au goût ou à l’odorat dans des installations et dîners performatifs, Gayle Chong Kwan invente ici de nouvelles possibilités de découverte de l’œuvre. Des formes blanches, peintes à l’émail sur des épreuves photographiques tactiles et en relief montent du sol ou descendent du plafond et obligent à une expérimentation physique et sensorielle. « Installées sur le plafond et le plancher, les stalactites et stalagmites peuvent être touchées, ou à tout au moins elles éveillent le sens du toucher : je les conçois davantage comme des sculptures que comme des photographies », explique l’artiste.

Blind Vistas est une traversée paradoxale, à la fois aveuglement forcé et invention de nouvelles approches, blancheur immaculée et obscurité caverneuse, enfermement dans la cécité et ouverture de perspectives inédites. Comme si l’œil pouvait toucher la Lune.


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