Françoise Huguier – Virtual Seoul (Pavillon Carré de Baudouin)

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La nouvelle exposition du Pavillon Carré de Baudouin dans le 20è est consacrée à Françoise Huguier et sa série consacrée à la capitale coréenne Séoul. En accès libre jusqu’au 31 décembre 2016.

En 1982, après un long séjour en Asie du Sud-Est et au Japon, Françoise Huguier continue son travail en Corée et particulièrement à Séoul.

Elle découvre une ville en pleine construction, où le couvre-feu existe toujours, reste de la guerre. Les vieux quartiers sont en train d’être détruits, au profit de barres bétonnées. Le métro existe depuis peu, certains quartiers sont encore entourés de champs, et la cathédrale, tout en béton, sort de terre. La ville est un grand chantier, et le niveau de vie des Séouliens, enfants et adultes, est comparable à celui du reste de l’Asie.

En redécouvrant Séoul en 2014, Françoise Huguier retrouve un monde transformé par la technologie et la consommation de masse, la ville de 1982 lui apparaît comme le squelette de ce qu’elle est devenue.

Le niveau de vie a rattrapé celui de l’Europe. Il lui a semblé indispensable de revenir à Séoul, devenue point d’orgue de la culture populaire en Asie. À Kuala Lumpur, la jeune communauté chinoise est fan de la culture K-pop, alors que leurs parents ne regardent plus les films des frères Shaw mais les dramas coréens. L’Asie est définitivement influencée, non plus seulement par le Japon mais aussi par la culture populaire coréenne. L’artiste constate aussi que l’implantation des églises protestantes et catholiques s’est énormément développée. Séoul est devenue une mégapole de 25 millions d’habitants, la moitié de la population totale du pays. Les campagnes sont-elles désertées au profit de Séoul ? Françoise Huguier commence ses investigations par le monde de la K-pop. Elle découvre le girls Band La Boum, qui l’inspire par son parfum français et parisien, avec le premier CD Petits Macarons, très à la mode en ce moment à Séoul. Sur les traces du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, elle décide de photographier le groupe dans un studio ressemblant à Versailles ! Et de faire porter des converses aux artistes, en hommage au film. D’autant plus que le hasard faisant bien les choses, à ce moment là à Séoul, se produisait une comédie musicale du même nom.
Les écrans publicitaires, dans le métro et dans la rue déversent des slogans de l’esthétique d’être et de paraître, et influencent radicalement les habitants de Séoul, toutes générations confondues. Ce qui amène Françoise Huguier à photographier les quartiers symboles de la consommation à outrance : Myeong-dong, Hongdae, et les shopping malls géants. Dans le métro, la rue, sur les Smartphones, chez les gens, les dramas crèvent l’écran et lancent les modes. C’est aussi dans la rue qu’elle découvre que les jeunes coréens sont devenus blonds.

Virtual Séoul - Françoise Huguier

Virtual Séoul - Françoise Huguier

« (…) Et que faire quand les grands écrans du quartier signalent que votre voisin vient d’acheter le dernier modèle, celui que vous n’avez pas encore ? Que répondrez-vous à votre conjoint ou à vos enfants ? Vous répondrez ce que la myriade d’écrans, en particulier dans le métro, n’a cessé de vous susurrer à l’oreille. Les réactions, sans même parler de rejets, sont bien rares devant cette avalanche de marchandises. (…) Le fatalisme confucianiste croise l’optimisme libéral. Les écrans qui recouvrent petit à petit la ville n’agissent-ils pas comme une opération de chirurgie esthétique urbaine géante ? Les écrans en tout cas ne se privent pas d’utiliser l’opération avant/après. » (Patrick Maurus)

Dans le prolongement de 1982, l’artiste se pose la question : qu’est devenue la génération qui a souffert pour construire la réussite du pays ? Elle se rend alors dans les colatheks et les cabarets de Jongno, où elle rencontre les vieux retraités pour qui il est important de se montrer avec le costume le mieux taillé. Ici la misère ne doit pas être vue, ce qu’on montre c’est une apparence des plus kitsch. En parallèle de cette population qui a pu mettre de l’argent de côté pour vivre paisiblement ses vieux jours, il y a une autre réalité, celle des bidonvilles où les vieux y sont laissés pour compte. Dans le centre de la ville un bidonville a pris place, les habitants de cette ville de carton se réfugient dans le protestantisme pour oublier le quotidien douloureux, loin de leurs familles, pour qui il serait humiliant d’avouer avoir un père, une mère vivant dans la misère.


Aussi, elle rend visite aux familles de la classe moyenne dans le quartier de Dunchon-dong. Les immeubles de ce complexe résidentiel seront prochainement détruits pour laisser place à des tours bien plus hautes encore. Les habitants de ce quartier ne pourront s’offrir le luxe des loyers à venir. Françoise Huguier s’introduit chez eux, le temps d’une prise de vue, et le temps de comprendre aussi en quoi la structure de la société coréenne actuelle aurait détruit la cellule familiale.

« Au grand dam des féministes, devenir femme au foyer semble un sort enviable, car cela signifie une émancipation réelle, non pas de la domination masculine, mais de la sourde domination familiale, de la belle-famille, et, le plus souvent, d’une autre femme, la belle-mère, source d’innombrables et horrifiques anecdotes. » (P. Maurus)
Alors qu’il y a encore quelques années trois générations pouvaient vivre dans le même appartement, aujourd’hui il semble douloureux pour les enfants de rendre visite à leurs aïeux.

« Qu’il est difficile de croire, de s’imaginer, dans la Séoul d’aujourd’hui, que deux générations seulement nous séparent de la Corée majoritairement rurale ! (…) Comment expliquer les différences avec l’Occident alors que les ingrédients sont apparemment les mêmes ? C’est dans la rapidité de surgissement de ces ingrédients qu’il faut chercher la réponse. Entre le système bancaire et les écrans plasma, entre l’électricité et la grande vitesse, il s’est coulé un temps incroyablement court, plus court en Corée qu’en Occident. Et les humains, les mentalités ont dû s’y faire.(…) Ce modernisme a suscité une stupéfaction fascinée, dont l’image la plus prégnante est certainement la verticalité, celle des immeubles japonais qui nous semblent maintenant bien bas, modèles réduits de ceux d’aujourd’hui. » (P. Maurus)

À travers son œuvre, l’artiste Françoise Huguier espère que la jeune génération se rendra compte des sacrifices de l’ancienne, et qu’elle n’a pas oublié les douleurs et les dégâts de la guerre. Et elle ajoute : sans passé, il n’y a pas de futur.
Ces images, présentées au Musée d’Histoire de la ville de Séoul, au printemps 2016, ont connu un immense succès.

Ce travail photographique fait l’objet d’un livre publié chez Actes Sud, le 15 septembre 2016.


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