Chagall, Lissitzky, Malévitch (Centre Pompidou)

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Chagall, Lissitzky, Malévitch – L’avant-garde russe à Vitebsk, c’est un petit bout de Russie à Paris pour le printemps !
L’exposition que consacre le Centre Pompidou à l’avant-garde russe, de 1918 à 1922, prend pour cœur l’œuvre de trois de ses figures emblématiques : Marc Chagall, El Lissitzky, Kasimir Malévitch. Elle présente aussi les travaux d’enseignants et d’étudiants de l’école de Vitebsk, créée en 1918 par Chagall : Vera Ermolaeva, Nicolaï Souietine, Ilia Tchachnik, ou encore Lazar Khidekel et David Yakerson.

À travers un ensemble inédit de deux cent cinquante œuvres et documents, cette manifestation éclaire pour la première fois les années post-révolutionnaires où, loin des métropoles russes, l’histoire de l’art s’écrit à Vitebsk.
L’année 2018 marque le centième anniversaire de la nomination de Marc Chagall au poste de commissaire des beaux-arts de la ville de Vitebsk, située aujourd’hui en Biélorussie. Cet événement, suivi de peu par l’ouverture de l’École populaire d’art sous l’impulsion de l’artiste, ouvre une période fébrile des activités artistiques en ce lieu. Parmi les artistes invités par Chagall à enseigner dans son établissement figurent des protagonistes majeurs de l’avant-garde russe, tels El Lissitzky et Kasimir Malévitch, fondateur du suprématisme. Si l’exposition que consacre le Centre Pompidou à cette avant-garde russe, de 1918 à 1922, prend pour cœur l’œuvre de ces trois figures emblématiques, elle présente aussi les travaux d’enseignants et d’étudiants de l’école de Vitebsk : Vera Ermolaeva, Nicolaï Souietine, Ilia Tchachnik, ou encore Lazar Khidekel et David Yakerson. À travers un ensemble inédit de deux cent cinquante œuvres et documents, cette manifestation éclaire pour la première fois les années post-révolutionnaires où, loin des métropoles russes, l’histoire de l’art s’écrit à Vitebsk.

 

Chagall, Lissitzky, Malevitch

Chagall, Lissitzky, Malevitch Chagall, Lissitzky, Malevitch

Chagall, Lissitzky, Malevitch

Ce chapitre méconnu commence avec Marc Chagall. Peintre vivant à Petrograd, cet ancien résident de la Ruche est témoin de la révolution bolchevique qui bouleverse la Russie au cours de l’année 1917. Le vote d’une loi abrogeant toute discrimination nationale et religieuse lui confère pour la première fois, à lui l’artiste juif, un statut de citoyen russe à part entière. Chagall connaît alors une ivresse créative. Une série de chefs-d’œuvre monumentaux voit le jour. Chacun de ces grands tableaux semble un hymne au bonheur du couple, comme Double Portrait au verre de vin et Au-dessus de la ville montrant les deux amoureux, Chagall et sa femme Bella, s’envolant vers les nuées, libres comme l’air. Tout respire l’euphorie du moment. Au fil des mois cependant, Chagall se sent dans l’obligation de venir en aide aux jeunes Vitebskois en mal d’un enseignement artistique, de soutenir ceux qui, comme lui, sont d’extraction modeste et d’origine juive. Lui vient alors l’idée de créer dans sa ville une école d’art révolutionnaire, ouverte à tous, sans restriction d’âge et gratuite. Ce projet, qui inclut aussi la création d’un musée, incarne parfaitement les valeurs bolcheviques ; il est validé en août 1918 par Anatoli Lounatcharski, chef du commissariat du peuple à l’instruction publique. Un mois plus tard, il nomme Chagall commissaire aux beaux-arts, avec pour première mission d’organiser les festivités du premier anniversaire de la révolution d’Octobre. Chagall invite tous les peintres de Vitebsk à fabriquer des panneaux et des drapeaux à partir de dessins préparatoires, dont un certain nombre ont survécu, notamment ceux de Chagall lui-même et ceux du jeune David Yakerson. Dans son autobiographie, Chagall écrira plus tard : « Par toute la ville, se balançaient mes bêtes multicolores, gonflées de révolution. Les ouvriers s’avançaient en chantant l’Internationale. À les voir sourire, j’étais certain qu’ils me comprenaient. Les chefs, les communistes, semblaient moins satisfaits. Pourquoi la vache est-elle verte et pourquoi le cheval s’envole-t-il dans le ciel, pourquoi? Quel rapport avec Marx et Lénine ? »

Après les célébrations, le commissaire met toute son énergie dans le développement de son école, qu’il veut ouverte à tous les styles et avec un enseignement de haut niveau. Il invite des artistes connus, vivant dans les métropoles russes, tels Ivan Puni et Mstislav Dobuzhinsky, pilier du groupe traditionnel Le Monde de l’art. Le 28 janvier 1919 a lieu l’inauguration officielle de l’école. Chagall, admiré par ses élèves, doit se démener pour assurer le bon fonctionnement de son établissement. Tandis que les premiers professeurs quittent déjà l’école, d’autres font leur arrivée comme Vera Ermolaeva, future directrice, et surtout El Lissitzky qui prend en charge les ateliers d’imprimerie, de graphisme et d’architecture. Il insiste auprès de son ami Chagall pour inviter le chef de file des mouvements abstraits : Kasimir Malévitch. Très vite après sa venue en novembre 1919, le charisme de ce théoricien hors norme galvanise les jeunes élèves. En peu de temps, ils forment ensemble avec des professeurs adeptes du courant novateur un groupe baptisé Ounovis (les affirmateurs du nouveau en art). Un de leurs mots d’ordre est : « Vive le parti Ounovis, qui affirme les nouvelles formes de l’utilitarisme du suprématisme ». Ce collectif conçoit alors affiches, magazines, banderoles, enseignes et cartes d’alimentation ; le suprématisme infuse dans toutes les sphères de la vie sociale. Ses membres mettent en forme les fêtes et les œuvres scéniques, décorent les tramways, ornent les façades, construisent les tribunes des orateurs. Carrés, cercles et rectangles colorés envahissent les murs et les rues de la cité. L’abstraction suprématiste devient le nouveau paradigme esthétique non seulement à l’école, mais du monde en général. Lissitzky, de par sa formation d’architecte, y joue un rôle clé. Avec son ensemble extraordinaire des Prouns (projets d’affirmation du nouveau en art), il est le premier qui, dans ses toiles et dessins, étale le volume architectural au plan pictural des suprématistes, le considérant comme « les stations de liaison entre la peinture et l’architecture ».

Durant ses années à Vitebsk, Malévitch, quant à lui, se consacre moins à la réalisation des peintures – une exception étant son magistral Suprématisme de l’esprit – qu’à la rédaction de ses principaux écrits théoriques et à son enseignement. Méthodique et stimulant, celui-ci séduit toujours plus d’étudiants, de sorte que Chagall s’en trouve de plus en plus isolé. Son rêve de faire coexister dans son école un art révolutionnaire indépendamment du style, principe fusionnel qui l’a guidé autant dans la constitution de la collection de son musée que dans l’organisation de la première exposition publique en décembre 1919, où les toiles de Vassily Kandinsky et Mikhaïl Larionov côtoient les œuvres abstraites d’Olga Rozanova, se brise au cours du printemps 1920. Ses classes se vidant peu à peu de leurs étudiants, Chagall décide en juin de quitter Vitebsk pour s’installer à Moscou. Il gardera rancœur à Malévitch qu’il accuse d’avoir intrigué contre lui. Les œuvres qu’il réalise alors tel son Paysage cubiste se lisent comme un règlement de comptes avec les suprématistes sur un mode moqueur, voire ironique : au centre d’une composition cubo-futuriste, sous un parapluie vert, un tout petit personnage (Chagall lui-même ?), ultime survivant de son humanisme poétique, marche devant le bâtiment blanc de l’école.

Après le départ de Chagall, Malévitch et le collectif Ounovis, seuls maîtres à bord, travaillent à « l’édification d’un monde nouveau ». Des expositions collectives sont organisées, à Vitebsk et dans les métropoles russes ; des comités locaux sont instaurés à travers le pays, comme le groupe Ounovis à Smolensk autour de Vladislav Strzeminski, et Katarzyna Kobro, à Orenburg avec Ivan Koudriachov, et à Moscou où Gustav Klutsis et Sergei Senkin sont rejoints par Lissitzky qui rallie à l’hiver 1920 le nouveau mouvement constructiviste. Avec la fin de la guerre civile vers 1921/1922, le climat politique change : les autorités soviétiques, cherchant à instaurer l’ordre qui leur est nécessaire dans la sphère idéologique et sociale, amorcent une éviction des courants artistiques qui ne servent pas directement les intérêts du parti bolchevique. En mai 1922, la première et dernière promotion sort de l’école populaire d’art de Vitebsk. Durant l’été, avec plusieurs de ses étudiants, Malévitch part à Petrograd pour y poursuivre ses réflexions sur un suprématisme volumétrique en élaborant les maquettes d’une architecture utopiste, intitulées Architectones ainsi que des ustensiles en porcelaine. L’école populaire d’art de Chagall s’est mue en un laboratoire révolutionnaire pour repenser le monde.

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