Syngué Sabour – Pierre de patience

/ Cinéma


Évènement passé

Sortie dans les salles françaises le 20 février 2013 – France / Allemagne / Afghanistan – 1h42

A voir absolument, c’est l’un de nos coups de coeur de ce début d’année ! Adapté du roman d’Atiq Rahimi Syngué Sabour, prix Goncourt 2008, et avec Golshifteh Farahani, découverte dans A Propos d’Elly, Poulet aux prunes ou encore Si tu meurs, je te tue.

Au pied des montagnes de Kaboul, un héros de guerre gît dans le coma ; sa jeune femme à son chevet prie pour le ramener à la vie. La guerre fratricide déchire la ville ; les combattants sont à leur porte.

La femme doit fuir avec ses deux enfants, abandonner son mari et se réfugier à l’autre bout de la ville, dans une maison close tenue par sa tante.

De retour auprès de son époux, elle est forcée à l’amour par un jeune combattant. Contre toute attente, elle se révèle, prend conscience de son corps, libère sa parole pour confier à son mari ses souvenirs, ses désirs les plus intimes… Jusqu’à ses secrets inavouables. L’homme gisant devient alors, malgré lui, sa « syngué sabour », sa pierre de patience – cette pierre magique que l’on pose devant soi pour lui souffler tous ses secrets, ses malheurs, ses souffrances… Jusqu’à ce qu’elle éclate !

Interrogée sur la parallèle entre la situation de cette femme et son parcours personnel, Golshifteh Farahani répond: « Depuis que j’ai quitté l’Iran, il y a quatre ans, j’ai accumulé les rôles de femmes en quête d’émancipation. Inconsciemment, je me suis dit qu’à travers ce personnage qui veut se libérer de son corps, de son homme et de sa condition, je peux moi-même me libérer de quelque chose. Il arrive parfois que notre destin se mélange avec les rôles que l’on interprète. Un cinéaste peut nous choisir car nous ressemblons au personnage ou parce que nos rôles précédents renvoient une image particulière. Tout se mélange. Mon destin et les rôles que j’ai joué sont liés. Si en Iran, on me proposait des rôles différents les uns des autres, le point commun était le fort caractère du personnage. Je ne pourrais pas jouer une femme passive. Ça ne me ressemblerait pas. Le fait de venir d’Iran me rapprochait évidemment de cette femme même si la situation iranienne est différente de celle d’Afghanistan. »

 

Quelques mots du réalisateur:

SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE est votre deuxième long-métrage. Il est l’adaptation de votre roman. L’idée d’en faire un film était pour vous une évidence ?
Lorsque j’ai fini d’écrire Syngué sabour – Pierre de Patience, mon éditeur l’a envoyé à différentes personnalités. Jean-Claude Carrière m’a appelé depuis sa maison du sud en plein été : “ Je trouve ton roman formidable, ça peut faire un beau film ! ” Dans le même temps, Jeanne Moreau que je ne connaissais pas, m’adresse un mail : “ Votre éditeur m’a envoyé votre livre, j’ai adoré, ça pourrait donner un beau film ! ”

Le huis clos n’était pas un frein ?
C’est une idée fausse de croire que tout ce qui est a priori clos est théâtral. Il y a dans l’histoire du cinéma beaucoup de films qui prouvent que la question du confinement n’est pas un obstacle mais un vrai atout cinématographique.

Qu’est-ce qu’un film pouvait apporter de plus à votre roman ?
L’adaptation cinématographique pose d’emblée un problème moral, éthique. L’idée de me répéter était évidemment exclue. Je suis persuadé que chaque art révèle une dimension particulière d’une histoire. Ce que le cinéma peut raconter, un roman ne peut le faire. Un verre selon qu’il est photographié, dessiné, décrit ou filmé n’a pas la même réalité. Le cinéma est avant tout une affaire de temps. Dans TERRE ET CENDRES, je filmais l’attente durant le deuil. Pour SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE, j’ai dit à Jean-Claude Carrière dès le début de l’écriture du scénario: “ Je veux filmer la parole ! ” Jean-Claude m’a tout de suite répondu par cette phrase magnifique d’Ingmar Bergman : “ Une histoire racontée n’est pas celle qui est entendue. ” Le champ des possibles est donc énorme.

Comment filmer la parole ?
Filmer la parole comme acte et non pas comme information. Le cinéma est le seul art où vous pouvez montrer une infinité de situations en même temps. La parole mais aussi la pensée, les gestes. Dans SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE, il y a cette séquence où la femme caresse l’homme ; son regard est d’abord tourné vers l’extérieur puis elle se tourne vers le visage de son mari et lui dit : “ Pourvu qu’une balle perdue t’achève ! ” Cette parole cruelle entre en contradiction avec la tendresse de son regard et de son geste. L’ambiguïté de l’être humain se révèle alors à l’écran. En littérature, j’aurais dû tout expliquer et le texte aurait perdu toute la force de suggestion.

Dans SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE, la parole est un vecteur d’émancipation…
La parole est au coeur de mes deux films. TERRE ET CENDRES était l’histoire d’un vieillard qui se demandait : “ Comment dire à mon fils que sa femme a été tuée ? Comment raconter la mort ? ” Son petit-fils devient sourd à cause des bombardements. Il est persuadé que la guerre a emporté la voix des gens. SYNGUÉ SABOUR – PIERRE DE PATIENCE est cette fois l’histoire d’une femme qui se révèle à travers la parole. Je suis issu d’une culture dans laquelle l’oralité est fondamentale dans un pays où 95% de la population est analphabète. À l’oral, c’est le rythme qui prime, d’où l’importance de la poésie et des contes. D’un autre côté, cette parole est assez limitée par rapport à l’écriture ; en tant que phénomène social elle implique une certaine autocensure. Dire ou ne pas dire, telle est la question !

Si le pays dans lequel se déroule l’intrigue n’est jamais clairement cité, on reconnait évidemment l’Afghanistan…
L’Afghanistan cristallise toutes les contradictions humaines possibles. Pour moi, l’Afghanistan aujourd’hui c’est comme LA GUERRE DES ÉTOILES de George Lucas. La vie ressemble à celle du Moyen Âge (les habits, la vie sociale, les valeurs religieuses…) et d’un autre côté, les armes sont les plus sophistiquées du monde. Ces contradictions sont intéressantes à filmer. C’est un pays où les choses se révèlent : les êtres, la lumière, les montagnes, la nature, la guerre, la politique, la religion… C’est très cinématographique !

La question de la sexualité féminine est déterminante dans le film et notamment à travers la prostitution, pourquoi ?
Dans tous les pays qui pratiquent la frustration sexuelle, il y a énormément de maisons closes. Si j’ai choisi de faire de la tante une prostituée, c’est que d’une part, j’aime ces femmes, leur courage, leur façon de dominer les hommes avec leur corps. Face à elles, les hommes deviennent des enfants. C’est une sorte de vengeance. C’est à son contact que mon héroïne prend conscience de sa liberté et se révèle. Sa tante devient sa maîtresse spirituelle. Le monde de la prostitution est souvent un monde exclusivement féminin. Bien sûr le côté sordide de la prostitution existe aussi, mais je voulais m’en servir ici comme le symbole d’une rébellion féminine possible. Attention ! La prostitution n’est pas la solution dans mon film, mais une possibilité métaphorique. C’est aussi parfois la seule ressource pour des femmes afghanes rejetées par leur famille, ou leur mari.

Comment et pourquoi avez-vous choisi Golshifteh Farahani ?
Un producteur m’avait proposé de faire le film en langue anglaise avec Penelope Cruz. Jean-Claude Carrière et moi étions bien décidés à le tourner dans la langue afghane, en persan. Alors quelle actrice afghane ? D’autant que mon héroïne est tout le temps présente dans le cadre. Il fallait quelqu’un de fort, capable de captiver le spectateur. J’ai auditionné des actrices afghanes et iraniennes. J’ai vu alors À PROPOS D’ELLY et j’ai trouvé Golshifteh formidable. Jean-Claude Carrière a organisé une rencontre chez lui. Sa beauté m’a fait un peu peur au début. J’avais peur qu’elle emporte tout. Nous avons fait des essais et j’ai tout de suite vu que c’était elle et pas une autre. Je l’ai filmée sans maquillage et j’ai vu comment elle absorbait la lumière puis la diffusait. Il ne fallait surtout pas que cette beauté reste céleste mais au contraire ait une
dimension charnelle.

Le rythme de votre mise en scène est extrêmement précis.
Si dans le roman mes phrases étaient courtes, j’ai opté dans ma mise en scène pour des plans séquences. Je voulais également que la caméra bouge tout le temps sans que le spectateur le sente. Chaque mouvement était précis. Si mon chef opérateur était français, mon cadreur lui parlait le persan, car je voulais que la caméra soit à un endroit précis selon certains mots.

Pourquoi une caméra sans cesse en mouvement ?
La caméra est avec la femme, contrairement à la voix narratrice dans mon roman qui ne quitte jamais la chambre et l’homme. Le narrateur est aussi paralytique que le mari. Dans le film, je voulais être avec la femme, à ses côtés. N’avez-vous pas peur des réactions de certains extrémistes religieux ? Tant que personne dans nos pays ne remettra en cause l’interprétation de notre histoire, de nos mythes, rien ne changera. Regardez ce qui s’est passé dernièrement, il suffit que quelqu’un s’indigne pour que le peuple prenne les armes et fasse des attentats… Il faut donc montrer aux musulmans le sens caché de nos mythes. Nous sommes capables de réinterpréter notre histoire, c’est un risque à prendre mais c’est le prix à payer. Le film a été visionné par le comité des cinéastes afghans qui l’ont proposé pour représenter le pays aux Oscars. Le film a été également projeté dans une salle de cinéma de Kaboul devant des étudiants des Beaux-arts. J’ai reçu des mails dithyrambiques. Je ne suis pas certain que l’on arrive à changer les mentalités de ce pays avec des actions militaires, même si elles peuvent être parfois nécessaires. L’éducation et la culture ont un rôle fondamental à jouer. Nous n’avons pas besoin d’une révolution politique mais culturelle. Si je n’arrive pas à éveiller les esprits endormis, j’aimerais au moins perturber leur sommeil.

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