Enfants Valises

/ Cinéma


Évènement passé

Sortie dans les salles françaises le 11 septembre 2013 – France – 1h26

Enfants Valises sort mercredi 11 septembre en salles. Après le succès de D’une seule voix, Xavier de Lauzanne signe un nouveau long-métrage documentaire où il dévoile les premiers pas d’adolescents africains migrants en France à l’école de la République.

En France, l’école a pour obligation d’accueillir tous les mineurs de moins de 16 ans, français ou étrangers, en situation légale ou non. Pour de nombreux adolescents migrants, ballottés d’un continent à l’autre, elle incarne un espoir de stabilisation et d’intégration. Le réalisateur Xavier de Lauzanne a posé sa caméra sur les bancs de l’école où Aboubacar, Dalel, Hamza et Thierno font leurs premières armes…

Ce qu’en dit le réalisateur:

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ces jeunes ?
Comme beaucoup de Français, j’ai du mal à me faire une opinion claire sur la question de l’immigration. Pourquoi suis-je à la fois convaincu par la richesse qu’apporte la mixité et troublé lorsque je me promène dans certains quartiers ? Pourquoi suis-je à la fois en faveur d’une régulation du nombre d’arrivants et embarrassé par les expulsions ? Ce qui est sûr, c’est que le brassage des cultures qui dorénavant s’impose à nous remet en cause « l’identité traditionnelle du Français type » derrière laquelle nous avions l’habitude de nous retrancher. Je peux moi-même, selon les circonstances, réagir avec curiosité ou inquiétude à ce changement. Si la peur est un réflexe naturel face à l’inconnu, il est essentiel de la combattre en s’intéressant à « l’autre ». Je regrette l’attitude des hommes politiques qui s’en servent comme levier électoral, tout comme je déteste les discours démagogiques : nous méritons mieux pour élever nos consciences. Aussi, quand Sandrine Montin et Carole Gadet, deux enseignantes qui intervenaient dans les classes d’accueil à destination des jeunes migrants, sont venues me voir avec une idée de film, je me suis dit que c’était une bonne occasion d’apporter ma contribution au débat avec un regard différent.

Au fil du tournage, votre regard sur eux a-t-il changé ?
Vivre une expérience forte avec une personne modifie toujours l’idée qu’on en a. Avec le temps, les préjugés s’effacent. Et cela change tout. Aujourd’hui, je sais à quoi ces jeunes sont confrontés. Par ailleurs, j’ai bien vu que ce sont ceux dont l’environnement familial est le plus sécurisant qui s’en sortent généralement le mieux. La détresse ou le courage de ces adolescents se lisent dans la considération que leurs parents leur vouent. Mais qu’y a-t-il d’extraordinaire en cela, me direz-vous ? Et bien justement, rien. Les schémas émotionnels, quelles que soient les origines culturelles, sont identiques. Et il est important de s’en rendre compte.

Comment vous est venue l’idée du titre du film ?
Ce titre m’est venu en discutant avec l’assistante sociale de l’école. Initialement utilisé pour désigner les enfants des DOM-TOM envoyés en métropole, il dit bien que ces jeunes subissent les décisions prises par les adultes. Cette condition d’ « enfants valises » les façonne : nombre d’entre eux sont en effet évanescents, insaisissables, ils ne sont pas habitués à s’inscrire dans une régularité et souffrent d’une remise en cause permanente.

Les thèmes de l’enfance et de l’adolescence vous semblent chers, pourquoi ?
Nous avons tous des choses à régler avec ces périodes-là de nos vies. Pour ma part, j’ai un contentieux avec l’école où je n’ai pas trouvé de quoi m’épanouir. J’y ai notamment été amené à expérimenter la question de la différence d’une manière plutôt singulière… Issu d’un milieu assez « vieille France », je me suis en effet retrouvé pensionnaire dans une école pour « mauvais élèves » où ma particule est devenue un fardeau. Par la suite, j’ai été parachuté en formation professionnelle en hôtellerie. Un aristo en BEP, dans les années 90, ça faisait tâche.  Il m’était pénible d’avouer à mes amis avec qui je sortais le samedi soir en « rallye », que le lundi j’apprenais à servir au guéridon et à vider un poulet. De même que mes camarades de classe ne pouvaient imaginer quelle était ma vie du week-end. Je n’étais pas à proprement parler discriminé, mais vivre à cheval sur deux univers incroyablement opposés me complexait. De cette époque, qui s’est finalement révélé être une bonne école de la vie, je garde une conscience aigüe de ce que signifie se sentir à part.

On devine que votre sujet s’impose plus à vous que vous n’imposez au sujet votre regard. Pourquoi cette position, atypique dans le cinéma documentaire français ?

Ce n’est pas parce que vous filmez l’imprévu que vous n’imposez pas au sujet votre regard. Quand vous pêchez, vous ne savez pas quel poisson vous allez prendre, mais une fois sorti de l’eau, vous imaginez déjà une façon de le cuisiner. Il y a toujours des choix conséquents à faire en fonction de votre imagination, de votre sensibilité, de votre appétit. Par exemple, au tournage, pour ne pas devoir recourir à une voix-off, je devais détecter rapidement ce qui pouvait être un élément de narration. Je ne filmais pas une séance de cours, je filmais certains éléments de cette séance qui pouvaient faire avancer mon histoire. Cela représente un important travail d’observation, d’anticipation, de réactivité, de tri, d’imagination et de synthèse.

Pour autant, vous n’êtes pas un observateur passif. Lors de la scène de la bagarre, vous devenez même acteur ! Vous posez la caméra pour intervenir, sans pour autant l’éteindre. Pourquoi ce choix ?
La situation s’est envenimée, une fille a été giflée, je ne pouvais décemment pas rester passif. Je suis allé les calmer, mais dans la précipitation, j’ai posé la caméra en omettant de l’éteindre. J’ai laissé cette scène car elle place le film dans cette réalité brute que nous avons tous vécue au moins une fois dans notre scolarité. Le procès en classe, l’irruption de la violence, le discours que tient Julie à Aboubacar dans le couloir… Quel enseignant ne s’est jamais retrouvé à gérer, dans l’affolement, une situation de crise ?

Comment avez-vous choisi la musique du film ?
J’ai découvert le travail de Franck2Louise en regardant un film documentaire de François Chilowicz sur les femmes de ménage. Agréablement surpris, je l’ai contacté et j’ai découvert un personnage éclectique proche de l’univers de mon film. Nous nous sommes découvert un point commun inattendu : précurseur dans le milieu du hip hop à St-Denis, il s’est efforcé de sortir du « ghetto » banlieue en intégrant à son pseudo une particule et un prénom féminin. De mon côté, j’ai été forcé de sortir de mon « ghetto » aristo en faisant un BEP… De ce fait, il nous a semblé primordial de travailler pour Enfants Valises sur une composition qui échappait aux clichés rap ou « ethnique », et nous avons donc opté pour des sonorités mi-groove, mi-jazzy qui ouvrent à l’universel.

À la fin du film, mais aussi après quelques années, vous retrouvez vos jeunes héros. Comment se sont effectuées ces retrouvailles ?
Je voulais que le film se termine sur une perspective d’avenir. J’ai donc laissé reposer le film quelques temps pour voir quels chemins ils allaient prendre. Je n’ai pas cherché à tous les retrouver – cela aurait été un deuxième film – mais j’ai été heureux de voir Aboubacar, qui semble maintenant prendre sa vie en main, et Dalel et Tako, qui poursuivent comme prévu de bonnes études. En revanche, la situation semble plus difficile pour Thierno et Hamza, que j’ai eu seulement au téléphone. Mais ce film m’a appris à ne pas rester figé sur des attitudes qui correspondent à un âge où tout est encore possible…

Au-delà de votre intérêt pour ces adolescents migrants, se pose la question de leur immigration en France…
Oui, et pour conclure, cette expérience m’a conforté dans l’idée que nous sommes, en ce qui concerne l’immigration, face à beaucoup de contradictions entre un État qui accueille et un État qui régule.

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