The Color Work – Vivian Maier

(Galerie Les Douches)


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Évènement passé

Du 19 janvier au 30 mars 2019, rendez-vous à la galerie Les Douches pour l’exposition « The Color Work » consacrée à Vivian Maier.

« Un des préceptes incontournables de la photographie veut que les meilleurs photographes de rue soient ceux qui ont appris à être invisibles, ou du moins, à se convaincre qu’ils le sont. Au fil des années, j’ai arpenté les rues aux côtés de Cartier-Bresson, Garry Winogrand, Tony Ray-Jones, Diane Arbus, Lee Friedlander, Tod Papageorge, ainsi que de quelques artistes de la jeune génération – Gus Powell, Melanie Einzig, Ben Ingham et Matt Stuart –, et chacun de nous a un petit numéro bien rodé pour travailler dans la rue. Esquives, feintes, pirouettes, c’est en se faufilant, le regard aux aguets, que l’on traverse les foules ou les manifestations, les avenues et les ruelles, les parcs et les plages, tous les lieux où la vie ordinaire attire notre attention et notre désir. C’est notre invisibilité qui nous permet de dérober impunément le feu des dieux.

En 2009, c’est sans crier gare que la tornade Vivian Maier est entrée dans l’histoire déjà très riche de la photographie de rue. En octobre de cette année-là, j’ai reçu un e-mail de John Maloof, un jeune artiste que je ne connaissais pas. Il se présentait et me racontait qu’il était tombé sur une mine de négatifs, de diapositives et de tirages lors d’une vente aux enchères dans un entrepôt de stockage. Comme il connaissait mon travail et qu’il avait lu mon ouvrage Bystander: The History of Street Photography, coécrit avec Colin Westerbeck, il avait décidé de me contacter pour me demander mon avis sur les photographies de Vivian Maier.

 

En pièces jointes, il avait mis environ deux cents diapositives couleur prises entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1970, qu’il avait toutes scannées lui-même. J’avoue que je ne les ai pas trouvées tout de suite géniales, mais en faisant défiler ces clichés en vrac, j’ai été frappé par la sensibilité et le timing de Vivian Maier : son attitude incroyablement positive, son sens du cadrage, sa témérité à se rapprocher volontairement de son sujet, la sincérité de sa curiosité, et une indéniable chaleur humaine, doublée d’ironie et d’humour – tout cela donnait l’impression d’un regard sur la vie d’une grande cohérence. Après avoir regardé toutes les photos, j’ai été envahi de ce plaisir que l’on ressent à la vue d’un travail intelligent et évocateur. J’ai visionné les diapos une nouvelle fois, j’en ai sélectionné quarante ou cinquante, que j’ai encore regardées.

Je commençais à saisir véritablement le fond de son travail. Qui était donc cette femme ? S’était-elle naïvement jetée à corps perdu dans le monde de la photographie américaine des années cinquante, ou avait-elle passé du temps à étudier un certain nombre d’autres travaux ? Avant de répondre à John, j’ai écrit à Colin : « Il faut que tu voies ce travail – une parfaite inconnue vient de débarquer dans l’histoire de la photographie de rue. » Il y avait des portraits pleins de tendresse, et de fabuleux moments pris sur le vif. Des paysages urbains et des enfants qui jouent. De petits gestes, des détails infimes majestueusement détectés et saisis au vol. Et aussi des images de personnes âgées, indigentes ou à la dérive, à Chicago et à New York. Mais surtout, on sentait que ce travail en couleur était guidé par une furieuse intelligence. Et tout cela en couleur ! Quel courage et quelle discrétion ! J’étais certain qu’elle ne faisait pas de tirages couleur, car quasiment personne n’en faisait à l’époque… Les photos étaient donc forcément restées cachées dans des cartons, influençant probablement fort peu son parcours d’artiste, et pourtant c’étaient (et ce sont toujours) des œuvres d’une grande valeur pour nous, qui sommes là pour voir son évolution.

En regardant de près les nombreux autoportraits de Vivian Maier, vous remarquerez son masque, son costume d’invisibilité. Elle a le physique banal d’une maîtresse d’école d’autrefois. On dirait une vieille fille timide, ou une touriste mal à l’aise dans la grande ville… mais que nenni ! Elle travaillait comme gouvernante, ce qui était déjà en soi un formidable camouflage – car qui se serait méfié d’une femme qui trimballait deux gamins derrière elle ? Sa profession lui a permis d’arpenter les rues à sa guise, de faire toutes les photos qu’elle voulait. Ses photographies laissent clairement transparaître sa rapidité à percevoir les comportements humains, le moment en train de se produire, un geste furtif, une expression sur un visage – ces brefs instants qui rendaient la vie dans la rue aussi passionnante à ses yeux.

 

 

Cependant, il me semble que Vivian Maier préférait le noir et blanc, qui donnait plus de force à ses œuvres, et ce pour plusieurs raisons. La pellicule noir et blanc était d’un maniement plus rapide, contrairement au Kodachrome, extrêmement lent et donc plus délicat. Avec le noir et blanc, elle pouvait obtenir des tirages et se pencher sur son travail, ce qui facilitait son approche instinctive. Sa passion du jeu visuel, la force et la pureté de son intuition et son amour infini de la photographie ressortent plus clairement en noir et blanc. C’est ce support qui lui a permis de persévérer, d’approcher de si près policiers, ivrognes, voyous et autres fanfarons, ainsi que des vieux et des infirmes, tout en gardant la tête froide – et son sens de l’humour – dans les situations difficiles.

Le travail en couleur de Vivian Maier recèle néanmoins des trésors, et le présent ouvrage montre des vues et des personnages absolument magnifiques. Au détour de chaque image, on la sent motivée par la couleur quand le flot de la vie quotidienne lui offre un « incident coloré ». Voyez par exemple l’image toute simple, en couverture de ce livre, de cette femme de dos qui serre son petit doigt, les mains posées sur sa robe rouge, en un geste étonnamment troublant – une image aussi forte que le drapeau d’une nation.
Vivian Maier compte parmi les premiers poètes de la photographie en couleur.  »
Joel Meyerowitz
Avant-propos, Vivian Maier: The Color Work, Harper Design, 2018

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